Cas pratique 1  – Introduction générale

Problème de droit : comment Monsieur Balzac peut-il rapporter la preuve de la remise de sommes d’argent à l’encontre de Maître Griffon, celui-ci ayant une activité de commissaire de justice, mais aussi de dépôt d’argent rémunéré grâce à des prêts à titre onéreux ?

  • Faits

Monsieur Balzac prétend avoir remis de l’argent, d’un montant de 4 000 euros, à Maître Griffon. Ce dernier se livrait à une activité de dépôt d’argent rémunéré grâce à l’octroi de prêts à titre onéreux.

Maître Griffon est commissaire de justice (ex-huissier de justice). Toutefois, il a accompli les actes précités pendant un peu plus de quatre ans.

Monsieur Balzac est dirigeant d’une société, sans que l’on sache si elle est civile ou commerciale.

  • Droit applicable

Il faut s’interroger au préalable sur la qualification juridique en droit civil des actes de dépôt et de prêt d’argent :

  • le fait de remettre de l’argent, avec obligation de restitution, est un contrat de dépôt (C. civ., art. 1915). Il s’agit plus précisément d’un dépôt irrégulier, défini comme un dépôt portant sur une chose de genre, ce qui oblige le dépositaire à restituer, non pas la chose remise elle-même, mais une chose équivalente.
  • Le prêt de sommes d’argent est une forme de prêt de consommation, « contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité » (C. civ., art. 1892).
  • Selon l’article 1936 du Code civil, « Si la chose déposée a produit des fruits qui aient été perçus par le dépositaire, il est obligé de les restituer. Il ne doit aucun intérêt de l’argent déposé, si ce n’est du jour où il a été mis en demeure de faire la restitution ». La mise en demeure de payer une obligation de somme d’argent fait courir l’intérêt moratoire, au taux légal, sans que le créancier soit tenu de justifier d’un préjudice (C. civ., art. 1344-1).
  • Qualification en droit bancaire : le dépôt et le prêt sont des opérations de banque (C. mon. fin., art. L. 311-1). Dans la pratique bancaire, le dépôt de sommes d’argent peut être rémunéré ou non par la banque.
  • Qualification en droit commercial : les opérations de banque sont des actes de commerce par nature (C. com., art. 110-1, 7° ; Quiquerez A., Droit bancaire, 3e éd., Gualino, coll. Mémentos, 2024, n° 11). « Sont des commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle » (C. com., art. L. 121-1). Le commerçant de fait est une personne effectuant à titre habituel des actes de commerce, sans être immatriculée au registre du commerce et des sociétés.

Pour être commerçant, il faut exercer l’activité commerciale à titre personnel. Ainsi, les dirigeants sociaux ne peuvent être considérés comme exerçant le commerce, même s’il s’agit d’une société commerciale (Cass. com., 12 nov. 2008, n° 07-16998 : D. 2010, AJ, p. 321, obs. Lienhard A.). Ils ne sont que les organes de représentation de la société.

Les commissaires de justice sont des officiers publics et ministériels (art. 1er, I, de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice) et ne sont donc pas des personnes commerçantes.

Un arrêt ancien portait sur une pratique similaire effectuée par un notaire, ayant mené une activité de placement de fonds déposés par ses clients. Il développait une activité de dépôt de sommes d’argent de ses clients, utilisait ces sommes pour conclure des prêts avec d’autres personnes moyennant des intérêts, puis redistribuait ces intérêts à ses clients. La haute juridiction a considéré qu’il exerçait une activité commerciale et, implicitement, de commerçant de fait. Il fallait donc lui appliquer les règles commerciales de la faillite (Cass. com., 2 févr. 1970, n° 68-13575 : RTD com. 1970, p. 671, obs. Jauffret A.). Malgré l’interdiction professionnelle de faire commerce, les actes du notaire « n’en conservaient pas moins le caractère commercial et impriment aux personnes qui les font habituellement la qualité de commerçant » (obs. Jauffret A. préc.).

Les actes de commerce réalisés par un officier ministériel sont-ils nuls ? Un arrêt ancien au sujet d’un huissier de justice ayant mené une activité d’intermédiaire d’une vente immobilière a refusé cette nullité et a obligé son débiteur à lui payer la commission due (Cass. 1re civ., 21 oct. 1968).

Les règles en matière de moyens de preuve diffèrent selon que l’on est en présence d’un acte juridique ou d’un fait juridique. Il faut distinguer la preuve du contrat de dépôt, laquelle obéit aux règles de preuve des actes juridiques, et la preuve de la remise de la chose, qui est un fait juridique.

Selon l’article 1359, alinéa 1er, du Code civil, « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique ». La somme visée par les dispositions de cet article a été fixée par l’article 56 du décret n° 2004-836 du 20 août 2004 à 1 500 euros. Par conséquent, la preuve des actes juridiques portant sur une somme d’argent inférieure est libre. L’article 1365 du Code civil apporte une définition de l’écrit probatoire, qui est assez large : « L’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ». La preuve par écrit doit porter tant sur l’existence que sur le contenu de l’acte juridique (Lardeux G., Preuve : modes de preuves, Rép. Droit civil, Dalloz, oct. 2019, n° 48).

S’agissant des opérations de dépôt elles-mêmes, elles constituent des faits juridiques. Elles peuvent donc être prouvées librement (sur des affaires de remise d’argent à des agences bancaires : CA Paris, 13 juin 1997, n° 95/22166, soulignant que la matérialité du dépôt est un fait juridique qui se prouve par tous moyens ; Cass. 2e civ., 2 févr. 1983 : D. 1983, IR p. 470, obs. Vasseur M., qui admet le principe de la preuve par témoignage, même si celui-ci fut, en l’espèce, insuffisamment probant). L’article 1924 du Code civil pose une règle spéciale sur l’aveu en matière de dépôt : « Lorsque le dépôt étant au-dessus du chiffre prévu à l’article 1359 n’est point prouvé par écrit, celui qui est attaqué comme dépositaire en est cru sur sa déclaration soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l’objet, soit pour le fait de sa restitution ». Les déclarations du dépositaire peuvent ainsi valoir aveu et preuve du dépôt (Cass. 1re civ. 31 oct. 2012, n° 11-15.462).

Lorsque l’une des parties à l’acte juridique est une personne commerçante, les règles de preuve suivantes s’appliquent :

  • entre commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens, sauf disposition légale contraire (C. com., art. L. 110-3) ;
  • lorsqu’un créancier commerçant cherche à prouver un acte contre un débiteur non-commerçant, il doit se soumettre au droit civil protégeant son cocontractant. Il doit donc faire la preuve de l’engagement par écrit dès lors que la somme réclamée dépasse la somme de 1 500 euros (Cass. 1re civ., 2 mai 2001, n° 98-23080 : D. 2001, AJ, 1950, obs. Lienhard A. ; Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 20-20409 : Contrats, conc. consom., févr. 2022, comm. 24, note Leveneur L.) ;
  • lorsqu’un non-commerçant cherche à prouver un engagement contre un commerçant, il peut rapporter la preuve de l’acte juridique par tous moyens (Cass. com., 21 juin 1994, n° 92-18630 ; Cass. 1re civ., 8 févr. 2000, n° 98-10107 : RTD com. 2000, p. 704, obs. Bouloc B.) : faisceau d’indices convergeant dans le même sens, lettres ou courriels, témoignages, factures, bons de commande, documents comptables, récépissés, etc. Un autre moyen de preuve est le commencement de preuve par écrit, c’est-à-dire « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué » (art. 1632, al. 1er du Code civil). Ainsi, une reconnaissance de dette ne comportant pas la mention manuscrite requise par l’article 1326 du Code civil vaut comme commencement de preuve.
  • com., 17 mars 1981, n° 79-14117 : RTD com. 1981, p. 559, obs. Alfandari E. et Jeantin M. ; Rev. sociétés 1982, p. 124, obs. Sousi G. : la preuve d’un acte par un commerçant contre un commerçant de fait peut être rapportée par tous moyens (« preuve libre »). En l’espèce, le commerçant créancier d’une somme d’argent (un fournisseur) pouvait apporter sa propre comptabilité comme élément de preuve contre le commerçant de fait. 
    • Application

Monsieur Balzac est, en tant que dirigeant de société, une personne civile. En ayant remis des sommes d’argent à Maître Griffon à charge pour ce dernier de les fructifier, il a accompli une opération de dépôt. Par analogie aux pratiques bancaires, on peut parler de « dépôt rémunéré ».

Maître Griffon est, en tant que commissaire de justice, une personne civile, donc une personne non commerçante. Cependant, il a réalisé des opérations de banque : d’une part, des opérations de dépôt, notamment au bénéfice de Monsieur Balzac et, d’autre part, des opérations de prêt à titre onéreux, pendant un peu plus de quatre ans et auprès de trois promoteurs immobiliers. Ce sont des actes de commerce par nature. Nous considérons qu’il a accompli ces actes de manière habituelle, au regard de la durée d’exercice et du nombre de clients, sous réserve de l’appréciation des juges du fond. Dans la mesure où la condition de l’habitude est floue, le juge, s’il était saisi du litige, devra analyser concrètement les faits pour déterminer si l’activité commerciale de Maître Griffon était habituelle, ou bien simplement occasionnelle, ponctuelle. Il serait utile de connaître les montants déposés par ses autres clients, en particulier les promoteurs, afin d’évaluer l’ampleur de son activité.

Cela étant, à notre sens, il devrait être qualifié de commerçant de fait et, plus précisément, si nous pouvons proposer cette déclinaison terminologique, de « banquier de fait ».

Sur le plan de la preuve, le créancier peut donc produire tout moyen de preuve. La qualification juridique de commerçant de fait de Maître Griffon est utile pour Monsieur Balzac car, en droit commun, entre personnes non-commerçantes, pour les actes juridiques d’une valeur supérieure à 1 500 euros (ce qui est le cas en l’espèce), la preuve doit être rapportée par écrit.

Il appartient à Monsieur Balzac d’apporter la preuve, d’abord de l’existence du contrat de dépôt, puis de la réalisation des opérations de dépôt, en particulier sur les sommes d’argent déposées. Ces preuves doivent être apportées par tous moyens, être suffisamment probantes afin d’emporter la conviction du juge. Il sera nécessairement exposé à l’adage « idem est non esse non probari » (c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé). En fonction des preuves à sa disposition, il pourrait verser comme preuves des courriels, échanges de textos, témoignages. Le récépissé aurait été un élément de preuve très utile, en établissant l’existence du dépôt. Sa perte peut être suppléée par d’autres moyens de preuve. Il aurait été particulièrement imprudent de la part de Monsieur Balzac de ne pas conserver de trace écrite des opérations effectuées.

Précisons qu’en matière de preuve d’acte mixte (preuve d’un non-commerçant contre un commerçant de droit ou fait), le demandeur non-commerçant bénéficie d’une option de compétence entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce (par ex. en ce sens : Cass. com., 15 déc. 2021, n° 21-11882).

Par ailleurs, sur des aspects non demandés dans la consultation, et qui nécessiteraient d’être analysés dans le détail, ajoutons que la pratique en cause semble violer le « monopole bancaire » en ce qu’elle constitue des opérations de dépôt et de crédit à titre habituel sans agrément. Les contrats conclus par une personne en violation du monopole bancaire ne sont pas nuls (Cass. ass. plén., 4 mars 2005, n° 03-11725 : RD bancaire et fin. 2005, comm. 118, obs. Crédot J. et Gérard Y. ; JCP E 2005, 690, note Bonneau Th. ; D. 2005, p. 785, obs. Sousi B. ; D. 2005, p. 836, obs. Delpech X. ; RTD com. 2005, p. 400, obs. Legeais D. ; Stoufflet J., « Le défaut d’agrément bancaire n’entraîne pas la nullité des contrats conclus », RD bancaire et fin. 2005, étude 7 ; Quiquerez A., op. cit., n° 140). Sont aussi méconnues les règles déontologiques (article 3 du décret n° 2023-1296 du 28 décembre 2023 relatif au Code de déontologie des commissaires de justice : obligation de probité), ainsi que les obligations liées au statut professionnel (article 9 de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice : « Dans des conditions fixées par le décret prévu à l’article 22, les sommes détenues par les commissaires de justice pour le compte de tiers, à quelque titre que ce soit, sont déposées sur un compte spécialement affecté ouvert à cet effet auprès d’un organisme financier »). Le commissaire de justice est soumis à une règle d’incompatibilité : « Sauf dispositions contraires, les commissaires de justice ne peuvent se livrer à aucun commerce en leur nom, pour le compte d’autrui ou sous le nom d’autrui » (art. 1er, III de l’ordonnance n° 2016-728, préc. ; Cass. 1re civ., 21 févr. 1995, n° 93-11.119, sur le cas d’un huissier gérant une SARL). Enfin, les infractions pénales d’escroquerie et d’abus de confiance sont susceptibles d’être constituées.

En conclusion, si Monsieur Balzac doit normalement rapporter la preuve du contrat avec Maître Griffon par écrit, il nous semble décisif d’invoquer la qualification de commerçant de fait afin de bénéficier du principe de la liberté de la preuve, même s’il faut s’attendre à une contestation sur la condition de l’habitude. Quant à la preuve de la remise des fonds, elle pourra être effectuée par tous moyens, quelle que soit la qualité, civile ou commerciale, de Maître Griffon. Monsieur Balzac devrait donc, à défaut d’accord avec Maître Griffon, engager une action civile pour demander la restitution des fonds remis en rassemblant un maximum de preuves. S’il parvient à prouver l’existence du contrat, son contenu et la remise des sommes d’argent à titre de dépôt, il pourra exiger la restitution desdites sommes ainsi que, en fonction des stipulations du contrat, le versement des fruits (les revenus) produits par l’argent déposé. Si cela n’est pas déjà fait, Monsieur Balzac doit au plus vite adresser une mise en demeure à Maître Griffon, ce qui lui permettra d’exiger en complément des intérêts sur la somme d’argent déposée.