Cas pratique 3 – Chèque

Problème de droit posé : Monsieur Emir peut-il engager la responsabilité civile de sa banque pour faute liée à la falsification de nombreux chèques pour un montant total important ?

  • Rappel des faits

Nous renvoyons aux faits exposés de manière assez claire dans le cas.

On remarque particulièrement que la concubine a effectué un aveu sur la falsification des chèques.

De plus, le nombre de chèques tirés est particulièrement élevé, de même que leur montant total (75 chèques). Les chèques falsifiés ont été émis sur une période assez longue (4 années).

  • Droit applicable

Tout d’abord, rappelons que l’article L. 131-2 du Code monétaire et financier prévoit que « Le chèque contient : […] 6. La signature de celui qui émet le chèque, nommé le tireur ».

Dans le cadre de l’utilisation du compte bancaire et de chèques, le client et la banque sont tenus à des obligations réciproques.

En vertu de l’article L. 133-16 du Code monétaire financier : « Dès qu’il reçoit un instrument de paiement, l’utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses données de sécurité personnalisées » (alinéa 1). « Il utilise l’instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation qui doivent être objectives, non discriminatoires et proportionnées » (alinéa 2). Les conditions générales rédigées par les banques prévoient souvent que les formules de chèques (ou « carnets de chèques ») délivrées au client doivent être conservées avec le plus grand soin, et que toute perte, tout vol ou usage frauduleux doivent être portés aussitôt à la connaissance de la banque et confirmés par une opposition par écrit. Il est alors ajouté qu’à défaut, le client supporte les conséquences de la perte, du vol, de l’usage frauduleux et de la falsification des chèques.

Selon l’article L. 133-17, I, du Code monétaire et financier, « Lorsqu’il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l’utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l’instrument, son prestataire ou l’entité désignée par celui-ci ».

Pour ce qui concerne la banque, sa responsabilité civile peut être engagée en cas de faute, particulièrement de négligence, sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil (ex-article 1147 ; Quiquerez A., Droit bancaire, 3e éd., Gualino, coll. Mémentos, 2024, no 547). On peut identifier deux types de faute :

  • négligence quant à la vérification de la signature du tireur. Selon la Cour de cassation, la responsabilité du banquier est écartée lorsque l’apparence du chèque était régulière et que la falsification était indécelable pour un employé normalement diligent (Cass. com., 10 déc. 2003, n° 00-18653 ; Cass. com., 15 juin 1993, n° 91-15431). Tel est particulièrement le cas quand la signature est bien imitée (Cass. com., 23 juin 1981, n° 79-14723 ; Cass. com., 5 nov. 2002, n° 00-11314). Il est jugé depuis longtemps qu’il revient à la banque tirée de vérifier l’authenticité de la signature (par exemple, Cass. com., 10 juin 1980, n° 78-15980). En cas de falsification du nom du tireur et du bénéficiaire (noms remplacés par un escroc), la banque tirée et la banque du bénéficiaire (banque présentatrice) sont solidairement responsables, dès lors que ces deux banques étaient en mesure de détecter l’anomalie (CA Paris, 6 mars 2024, n° 23/048). Les fautes respectives des deux banques doivent être examinées au cas par cas (sur cette approche, CA Rennes, 6 mars 2024, n° 23/04832 : « Il résulte ainsi des faits de l’espèce et des éléments qui précèdent que chacune des fautes imputables à chacune des banques, présentatrice du chèque et banque du tireur, ont également contribué à la survenance du dommage qui ne serait pas constitué si l’une ou l’autre ne s’en était pas rendue responsable »). Si le tiré a sous-traité auprès d’une autre banque les vérifications et les contrôles des chèques soumis à l’encaissement par ses clients auprès d’une autre banque, cette dernière peut elle aussi être condamnée (CA Lyon, 11 mai 2023, n° 20/03356) ;
  • négligence quant à la surveillance du fonctionnement du compte. Cette faute éventuelle doit être analysée au cas par cas, ce qui est délicat car la banque est tenue à une obligation de non-ingérence. Le devoir de non-ingérence du banquier n’est pas sans limites, dans la mesure où « le banquier se voit imposer, dans un certain nombre de cas, un devoir contraire, celui de vigilance, qui désigne l’obligation pour le banquier de s’immiscer dans les affaires de ses clients pour opérer, dans certaines circonstances, diverses vérifications. Ce dernier s’impose ainsi, plus particulièrement, en présence d’une « anomalie apparente » (Lasserre Capdeville J., « L’encadrement juridique du risque de fraude en matière de chèque », RD bancaire et fin., janv. 2021, dossier 3). La jurisprudence a développé les notions de fonctionnement anormal ou inhabituel, lesquelles permettent de faire le départ entre l’obligation de non-ingérence et l’obligation de vigilance (Quiquerez A., préc., no171). Ainsi, l’obligation de non-ingérence s’efface devant la vigilance en cas de fonctionnement anormal ou inhabituel du compte. Cette solution jurisprudentielle est appliquée pour des opérations réalisées via divers instruments de paiement (pour un paiement par carte : Cass. com., 1er 2003, n° 00-18650 ; pour des chèques : Cass. com., 30 oct. 1984, n° 83-12997 ; Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-22576 ; pour des virements : Cass. com., 4 nov. 2021, n° 19-23368). Le banquier doit détecter toute anomalie apparente, c’est-à-dire une anormalité suffisamment ostensible pour ne pas pouvoir échapper au banquier normalement prudent et diligent. Les anomalies qui doivent retenir l’attention du banquier sont d’ordre matériel (imitation grossière de signature, grattage, etc.) et/ou intellectuel (nombre de chèques, montant inhabituel par rapport aux habitudes client). Comme l’écrit la doctrine, l’appréciation de la responsabilité de la banque s’effectue « en fonction des circonstances de chaque espèce, c’est-à-dire « in concreto » » (Lasserre Capdeville J., Storck M., Mignot M., Kovar J.-Ph. et Éreseo N., Droit bancaire, 4e éd., Dalloz, coll. Précis, 2024, n° 1176). L’action exercée par le client contre sa banque est de nature contractuelle (C. civ., art. 1231-1), dans la mesure où la faute naît de l’exécution d’un contrat. Toutefois, à notre sens, il est toujours assez difficile d’examiner les habitudes de paiement d’un tireur, puisque celui-ci peut être amené à utiliser des chèques pour des paiements exceptionnels (l’achat d’une voiture par exemple).

La responsabilité de la banque peut aussi être examinée à l’aune de l’article 1937 du Code civil (remontant à 1804), selon lequel « le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir ». En effet, un débit issu d’une opération frauduleuse oblige la banque à remettre le compte de dépôt à son état antérieur, en cas de faute de sa part.

Conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, outre la faute, il convient d’apporter la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité :

  • Un préjudice : le préjudice doit être certain et légitime. Le préjudice peut être avant tout d’ordre économique, en raison des débits indus sur le compte. Le préjudice peut aussi être moral, mais il ne suffit pas de l’alléguer, sa preuve devant être rapportée (sur un manque de preuves : CA Paris, 12 juin 2024, n° 22/09376). Il nous semble que ce préjudice moral peut découler notamment de l’ouverture d’une procédure de surendettement ou de saisie. Il peut être prouvé par voie de rapports médicaux et de témoignages.
  • Un lien de causalité : le dommage subi ne peut ouvrir droit à réparation qu’à la condition qu’il soit uni par un lien de causalité avec le fait dommageable. Cette condition est posée explicitement, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, à l’article 1231-4, aux termes duquel la réparation porte seulement sur « ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution ». Ainsi, il a pu être jugé que si la banque avait été vigilante et avait rejeté le chèque, son client aurait pu faire opposition (CA Toulouse, 26 oct. 2011, n° 10/02479). Cependant, dans certaines espèces, la négligence et l’absence de discernement et de vigilance du client constituent la cause unique des préjudices subis. Autrement dit, il peut y avoir exclusion de la responsabilité de la banque dès lors que le comportement fautif du client a été la cause exclusive de son préjudice (Cass. com., 18 sept. 2012, n° 11-21898 ; Cass. com., 22 mai 2013, n° 12-15672).

Toujours conformément au droit commun de la responsabilité, la faute du créancier victime peut produire un effet partiellement exonératoire de responsabilité. L’étendue de cette exonération est déterminée par les juges du fond en considération des circonstances de l’espèce, c’est-à-dire de la gravité des fautes respectives (Porchy-Simon S., Droit des obligations, 17e éd., Dalloz, coll. Hypercours, 2025, n° 734). Cette solution a déjà été appliquée en matière de chèques (par exemple, Cass. com., 10 juin 1980, no 78-15980 ; Cass. com., 28 janv. 2014, n° 12-27901 ; CA Douai, 20 janv. 2022, n° 21/00058). Autrement dit, il y a partage de responsabilités, apprécié par les juges du fond en fonction de la gravité des fautes respectives de la banque tirée et du titulaire des chèques.

En droit de la responsabilité contractuelle, est en principe exigée une mise en demeure préalable, c’est-à-dire l’acte par lequel le créancier somme le débiteur d’exécuter son obligation, « à moins que l’exécution ne soit définitive » (art. 1321 du Code civil). Toutefois, dans les actions exercées par les clients contre leurs banques, cette mise en demeure est généralement inutile, puisque les débits litigieux ont d’ores et déjà été effectués.

En droit commun, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (C. civ., art. 2224).

Dans une situation proche de l’espèce, la cour d’appel de Rennes s’est livrée à l’analyse suivante : « La faute de la banque ne saurait être recherchée qu’autant que la contrefaçon de signature alléguée était décelable par un employé de banque normalement diligent. Or comme le premier juge l’a relevé, il existe des variations importantes tant entre les spécimens de signature recueillis par la banque que dans la signature que M. [T] [F] revendique. Les signatures dont sont revêtus les chèques litigieux sont similaires au spécimen recueilli par la banque le 13 mars 2018 ou à celle apposée sur son passeport. Le fait que les chèques n’étaient pas, comme il est prétendu, complétés de la main du titulaire du compte ne constituait pas en soi une anomalie. Par ailleurs, la piètre qualité des copies des chèques produites aux débats ne permet pas de constater que certaines des formules étaient dépourvues de la mention de tout bénéficiaire voire de toute signature. Les chèques produits aux débats, autant qu’ils puissent être vérifiés, ne présentent pas d’anomalies apparentes qui auraient dû conduire la banque à refuser de les payer » (CA Rennes, 9 févr. 2024, n° 21/03365).

Dans une affaire similaire, jugée également par la cour d’appel de Rennes, il a été relevé que les opérations contestées par M. [W] sont nombreuses et ont été réalisées sur une période de plus de 9 années pour des montants importants. M. [W] ne fournit pas d’éléments de nature à expliquer dans quelles conditions il aurait pu ignorer ces opérations qui étaient régulièrement portées sur les relevés de son compte. Le fait qu’il impute ces opérations contestées à son ancienne compagne qui aurait ainsi trahi sa confiance ne pourrait suffire à justifier l’absence manifeste de vérification sur une longue période de ses chéquiers et relevés de son compte sur lequel étaient réalisées d’autres opérations et ce quand bien même son compte était largement créditeur. À supposer les falsifications établies, cette absence de surveillance de ses moyens de paiement et des relevés de son compte sur une telle période caractériserait une négligence grave cause exclusive de son dommage » (CA Rennes, 1er déc. 2023, n° 21/00636).

Une cour d’appel a jugé que même si le titulaire est « illettré et a besoin d’être aidé dans ses démarches quotidiennes », sans faire l’objet d’une mesure de protection, une absence de consultation des relevés du compte bancaire, dont il était pourtant le seul titulaire, constitue une négligence (CA Dijon, 3 avril 2014, n° 12/01859).

La Cour de cassation est récemment venue préciser qu’« il résulte de la combinaison des articles 9 du Code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du Code civil que s’il incombe à l’émetteur d’un chèque d’établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l’original de ce chèque, de prouver que celui-ci n’était pas affecté d’une anomalie apparente, à moins que le chèque n’ait été restitué au tireur » (Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-20.031 : Resp. civ. et assur. 2023, comm. 10, Bloch L. ; D. 2023, p. 220, note Siguoirt L.). Cette solution est particulièrement sévère à l’égard des banques. En effet, ne parvient pas à rapporter la preuve d’une absence d’anomalie matérielle, et partant à s’exonérer de sa responsabilité, une banque qui a détruit l’original du chèque et ne produit qu’une photocopie en noir et blanc et de mauvaise qualité, alors qu’un nom a été substitué par grattage à celui du bénéficiaire initial sur le chèque litigieux.

D’un point de vue pratique, l’authenticité de la signature de l’émetteur est vérifiée par un rapprochement avec le spécimen de signature déposé à la banque (fac-similé) lors de l’ouverture du compte. Beaucoup de banques se dispensent de cette vérification pour certains chèques d’un petit montant afin de réduire leurs charges d’exploitation (sur cette pratique, notamment : RTD com. 1996, p. 696, Cabrillac M.).

  • Application

Au vu des éléments de fait (4 ans de relations de concubinage), le délai de prescription de droit commun ne semble pas empêcher le client d’agir en responsabilité civile contre la banque.

L’aveu étant un mode de preuve (C. civ., art. 1383 à 1383-2), il convient de prendre en compte le texto rédigé par la concubine sur le fait que le client n’a pas tiré les chèques en cause.

Il serait utile de connaître les habitudes d’utilisation des chèques de la part de Monsieur Emir.

De plus, il serait intéressant de comparer les signatures de ces chèques avec celle figurant sur la pièce d’identité (carte d’identité ou passeport) détenue par la banque, ainsi qu’avec des chèques plus anciens signés par Monsieur Emir.

Trois points doivent être successivement analysés : la faute éventuelle de la banque (A), l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage (B) et la faute éventuelle du client (C).

  1. La banque a-t-elle commis une faute de négligence sur la surveillance du compte ?

La négligence de la banque nous semble très difficile à prouver en l’absence de données précises sur les habitudes de paiement par chèque de Monsieur Emir.

Il convient de prendre en compte que la signature d’une personne est susceptible d’évoluer sur plusieurs années.

Deux hypothèses sont à envisager :

  • la banque a commis une faute de négligence au regard du montant des chèques qui excède les habitudes de paiement de Monsieur Emir et/ou de signatures grossièrement imitées. Elle pourrait alors être condamnée au paiement de dommages-intérêts couvrant le préjudice économique subi par Monsieur Emir, lequel correspond au montant débité sur son compte à cause des chèques litigieux ;
  • la banque n’a pas commis de faute de négligence en raison du fait que le montant des chèques correspond à ses habitudes de paiement. De surcroît, les signatures des chèques litigieux sont pour la plupart d’entre eux fidèles à la signature de la pièce d’identité dont la banque est en possession. La banque ne serait pas alors condamnée au titre de la responsabilité civile.
    1. Existe-t-il un lien de causalité ?

Les dates et rythmes d’émission des chèques ne sont pas précisés et nécessiteraient d’être connus pour être analysés. En moyenne, ce sont 18 chèques environ par an qui ont été falsifiés. La période totale d’émission des chèques falsifiés était de quatre années.

À titre comparatif, dans une affaire où le client n’a émis aucune contestation à la lecture de ses relevés de compte durant six ans, cette absence de vérification a été considérée comme une négligence fautive. L’absence de contestation était de nature à conforter la banque dans la conviction que le compte fonctionnait normalement et à l’exonérer de toute responsabilité. Il s’agit d’une faute qui l’exonère de toute responsabilité dès lors qu’elle est la cause exclusive du dommage (CA Rennes, 9 févr. 2024, n° 21/03365, préc.). Dans une autre affaire de falsification de chèques, il fut jugé que « l’arrêt confirme le jugement par adoption de motifs sur la seule observation que la situation frauduleuse dont se dit victime la société a duré quatre années au cours desquelles elle n’a opéré aucune vérification sérieuse en interne, et en déduit que s’il a pu y avoir de la part de la caisse, partie extérieure, un manque de vigilance indéniable quant à la forme des chèques présentés à l’encaissement, cette faute est plus que couverte par celle de la société plaignante et ce d’autant plus qu’il n’incombait nullement à la caisse de vérifier la motivation ou la cause des chèques suspects ou susceptibles de doute, sous peine de s’immiscer illégalement dans les affaires de sa cliente » (Cass. com., 18 sept. 2012, no 11-21.898).

En l’espèce, la durée des falsifications nous semble être suffisamment longue pour pouvoir combattre le lien de causalité en ce que l’absence de vérification des comptes, comme de surveillance du carnet de chèques, constitue la cause exclusive du dommage.

  1. La faute du client est-elle exonératoire de responsabilité ?

Dans l’hypothèse où la faute de la banque et le lien de causalité étaient établis, sa responsabilité peut être écartée en cas de faute de Monsieur Emir. À cet égard, le fait que Monsieur Emir n’ait pas gardé son carnet de chèques et surveillé le fonctionnement de son compte devrait conduire la banque à une exonération partielle responsabilité.

À titre comparatif, dans une affaire où dix chèques de 23 500 euros pendant cinq mois ont été falsifiés et émis par une fille du client, un partage de responsabilités a été décidé : 70 % pour la banque, 30 % pour le client (CA Douai, 27 mai 2010, n° 09/03831).

En conclusion, le risque d’une condamnation de la banque à réparer le montant total des débits indus nous semble peu élevé, compte tenu de la négligence du client, qui nous semble grave : absence de vérification des comptes pendant quatre ans, au surplus en présence de nombreux chèques et d’un montant global très important. Il faut toutefois être très prudent sur cette conclusion, au regard de l’approche casuistique des juges et du manque de détail des faits portés à notre connaissance. Il reviendrait aux juges du fond d’apprécier les faits et la gravité des fautes respectives des parties,

Questions complémentaires à se poser :

Si la banque de Monsieur Emir est tenue responsable de manière totale ou partielle, peut-elle se retourner contre la banque de l’ex-concubine ? Cette question ne se pose évidemment que si sa banque est différente de celle de Monsieur Emir. La banque tirée pourrait songer à appeler en garantie la banque présentatrice afin qu’elle soit reconnue partiellement responsable. La négligence pourrait reposer sur une anomalie que la banque présentatrice aurait pu détecter, une anomalie matérielle et grossière. Cependant, puisqu’elle n’est pas détentrice d’un spécimen de la signature du tireur, il ne semble pas pouvoir lui être reproché une faute de négligence sur ce point.

Le client peut-il agir en responsabilité civile et pénale à l’encontre de son ex-concubine ? Ce nouveau problème de droit devrait être analysé dans le détail. On se limitera ici à quelques éléments de réponse :

  • la responsabilité civile de l’ex-concubine, pourra être engagée à condition de prouver une faute de sa part, un dommage subi par Monsieur Emir et un lien de causalité entre les deux (C. civ., art. 1247). Dans certains contentieux similaires, le client pourrait éventuellement tenter d’évoquer de manière audacieuse l’existence d’un mandat tacite : est-ce que ce mode de fonctionnement n’était tout simplement pas convenu entre eux ? S’agissant d’achats dans des enseignes de commerce alimentaire, le titulaire du carnet de chèques en a probablement bénéficié. Toutefois, en l’espèce, il y a eu un aveu sur la falsification des chèques. De plus, si la question du mandat liée à une gestion des finances en commun peut éventuellement être soulevée en présence d’un compte joint (par ex. sur ce cas : CA Angers, 2 juin 2015, n° 13/01452), elle est encore moins évidente concernant des chèques débités sur un compte personnel. D’un point de vue pratique, la question de la solvabilité de son ex-concubine se posera nécessairement,
  • la responsabilité pénale peut être engagée sur différents fondements :
  • Falsification ou contrefaçon de chèque (C. mon. fin., art. L. 163-3, 1°) et usage de chèque falsifié (C. mon. fin., art. L. 163-3, 2°). La doctrine distingue parfois les deux concepts : le chèque contrefait serait faux dès l’origine, n’ayant jamais été émis (faute de signature du titulaire du carnet de chèques), alors qu’il serait falsifié après une émission régulière (falsification du montant et/ou du nom du bénéficiaire). Mais la jurisprudence ne s’embarrasse pas de ces précisions (en ce sens : Jeandidier W., « Chèque et carte de paiement », Rép. Droit pénal et procédure pénale, Dalloz, oct. 2019, n° 284).
  • Faux en écriture (C. pén., art. 441-1)
  • Escroquerie (C. pén., art. 313-1)
  • Abus de confiance (C. pén., art. 314-1)
  • Vol (C. pén., art. 311-1).

Le juge pénal peut sanctionner les détournements de chèques et différents agissements les entourant (par exemple : Cass. crim., 14 nov. 2001, n° 00-87421 : vol aggravé et escroquerie ; CA Riom, 18 juill. 2006, n° 06/00357 : escroquerie et falsification de chèques par un concubin ; CA Montpellier, 3 mai 2007, n° 06/00888 : falsification de chèques, abus de confiance et recel de biens).

Ainsi, Monsieur Emir pourrait porter plainte contre son ancienne concubine en se constituant partie civile.

En conclusion, sur la question précisément posée, Monsieur Emir peut, en l’absence d’accord amiable avec sa banque, engager une action civile. Il dispose d’arguments de droit et de fait pour engager la responsabilité contractuelle de sa banque sur le terrain de l’obligation de vigilance. Toutefois, le manquement à celle-ci n’est pas à l’abri de contestations et, surtout, sa propre faute de négligence risque fortement d’écarter la responsabilité de la banque.