Cas pratique 5 – Dailly et affacturage

Question de droit : l’affaire porte sur le point de savoir si l’affactureur d’une entreprise est tenu à restitution de sommes d’argent envers le cessionnaire Dailly, en raison des paiements qu’il a reçus au nom et pour le compte de ladite entreprise. Ce cas implique la question de l’effet erga omnes du transfert de créances, précisément à l’égard de l’affactureur (II), ce qui nécessite d’examiner, au préalable, la validité de la cession Dailly (I).

  • La cession Dailly est-elle juridiquement valable ?
    1. Faits

La société Gifa a conclu un contrat de cession de créances professionnelles à titre d’escompte avec l’établissement de crédit spécialisé dénommé Rhône Finance. Ce transfert s’est effectué via un bordereau Dailly sur support papier qui comportait l’intitulé « convention de cession de créances professionnelles ».

Nous n’avons pas copie du bordereau. Il serait utile d’y accéder afin de prendre connaissance de l’ensemble des mentions qui y figurent.

  1. Droit applicable

Selon le 1 et 2 de l’article L. 313-23 du Code monétaire et financier, « le bordereau doit comporter les énonciations suivantes :

  • La dénomination, selon le cas, « acte de cession de créances professionnelles » ou « acte de nantissement de créances professionnelles » ;
  • La mention que l’acte est soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à L. 313-34 ».

L’article L. 313-23 du Code monétaire et financier énumère d’autres mentions obligatoires.

Le dernier alinéa de cet article prévoit que « le titre dans lequel une des mentions indiquées ci-dessus fait défaut ne vaut pas comme acte de cession ou de nantissement de créances professionnelles au sens des articles L. 313-23 à L. 313-34 ».

La date du bordereau ne fait pas partie des énonciations obligatoires de l’article L. 313-23 du Code monétaire et financier, mais c’est l’article L. 313-27 qui attribue à cette date toute son importance à propos du moment de prise d’effets de la cession. La date est une mention capitale, parce que la cession prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise.

La jurisprudence est très exigeante sur le respect de ces mentions obligatoires (Quiquerez A., Droit bancaire, 3e éd., Gualino, coll. Mémentos, 2024, n° 825). Ainsi, une cour d’appel a été censurée pour avoir jugé régulier un bordereau comportant la dénomination « acte de cession de créance de la loi Dailly » et la mention qu’il était soumis à la « loi du 2 janvier 1984 » (Cass. com., 11 juill. 2000, n° 97-22452 : RTD com. 2000, p. 992, obs. critique de Cabrillac M., qui considère que cette exigence est particulièrement stricte, voire pointilleuse, D. 2000, AJ 339, obs. Lienhard A., qui la juge sévère). De même, il fut jugé qu’un acte ne valait pas cession de créances professionnelles au sens du Code monétaire et financier en présence d’un bordereau qui portait le terme « bordereau Dailly » après celui de « cession de créances », sans le mot « professionnelles » (Cass. com. 8 nov. 1994, n° 16-11.408).

Un bordereau Dailly incomplet est susceptible d’être requalifié en cession de créances de droit commun (Quiquerez A., préc., n° 826). Ainsi, la Cour de cassation a appliqué le droit civil de la cession de créances à un bordereau qui ne mentionnait pas que l’acte était soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à L. 313-34 du Code monétaire et financier (Cass. com., 16 oct. 2007, n° 06-14675 : D. 2007.2728, obs. Delpech X., arrêt suggérant cette solution en visant l’ancien article 1690 du Code civil sur la cession de créances de droit commun).

Cependant, récemment, la Cour de cassation a jugé qu’un bordereau de cession de créances professionnelles dépourvu de date était privé de tout effet, que l’opération ne pouvait être requalifiée en cession de créances de droit commun et que, ainsi, le débiteur pouvait refuser de payer le cessionnaire (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-24490 : D. actualité, 23 mars 2023, obs. Hélaine C. ; D. 2023.548 ; RTD civ. 2023, p. 630, obs. Barbier H.). Cette solution se justifie par le caractère essentiel de cette information sur le bordereau. Le cessionnaire qui a omis d’apposer la date de la remise sur le bordereau de cession de créances professionnelles ne peut suppléer à cette omission par d’autres moyens et rendre ainsi la cession opposable aux tiers.

  1. Application

Dans cette affaire, le mot « acte » est manquant. À sa place, figure le terme « convention ». Or, la convention est une forme d’acte (juridique). Il renvoie clairement, sans ambiguïté, à la notion d’acte.

La décision qu’un juge du fond prendrait est entourée d’une certaine imprévisibilité juridique. Différentes décisions sont envisageables :

  • une décision probable, au regard de la rigueur de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les conditions de validité des cessions de créances professionnelles, consistant à considérer que le bordereau en cause ne peut valoir cession de créances professionnelles au sens du Code monétaire et financier et que la cession est nulle ;
  • une décision possible au regard d’un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 16 oct. 2007, précité), consistant à requalifier l’acte de cession de créance de droit commun ;
  • une décision assez audacieuse, selon laquelle la formule ici employée suffit pour valider l’acte, à condition que les autres mentions requises par le Code monétaire et financier soient respectées.

Dès lors, selon nous, l’analyse qui suit sur les effets de la cession devra intégrer ces trois scenarii.

  • Les effets d’opposabilité de l’opération sur le tiers affactureur

Deux grandes situations doivent être envisagées, selon que la cession est reconnue valable (A) ou non valable, c’est-à-dire nulle (B).

  1. Faits

Nous pouvons reconstituer la chronologie suivante :

  • Signature du bordereau Dailly par le cédant (Gifa)
  • Notification de la cession Dailly auprès du débiteur cédé (Films Distribution)
  • Information par le cédant auprès du débiteur cédé du nouveau destinataire des paiements (Factoplus)
  • Paiement d’une partie des créances par le débiteur cédé (Films Distribution) à l’affactureur (Factoplus)
  • Liquidation judiciaire du cédant
  • Projet d’action en justice de Rhône finance contre Factoplus

 

  • Droit applicable

Article 1302-1 du Code civil : « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ».

En cas de conflit entre un cessionnaire Dailly et un affactureur employant la subrogation, il convient de se référer à la date du bordereau pour régler le conflit, abstraction faite de la date de notification de la cession auprès du débiteur cédé. Si la subrogation effectuée par l’affactureur est postérieure au bordereau de cession à l’établissement de crédit, c’est ce dernier qui prime (Cass. com., 3 janv. 1996, n° 93-21675 : JCP G 1996, II, 22682, note Stoufflet J., arrêt retenant le principe selon lequel le transfert le plus ancien l’emporte).

Toutefois, il est fréquent que les conventions d’affacturage stipulent que le factor est mandataire pour l’encaissement de règlements relatifs à des créances non cédées (Quiquerez A., op. cit., n° 872).

Dans ce cas particulier, le factor n’a reçu les sommes que pour le compte du mandant. Seul ce dernier doit donc être tenu au remboursement. Cette solution a été retenue dans un litige entre cessionnaire Dailly et affactureur (Cass. com., 4 juill. 1995, n° 93-12.977 : JCP E 1995, II, 738, note Stoufflet J.). Elle a été aussi adoptée dans les contentieux entre débiteur cédé et affactureur (Cass. com., 3 nov. 2009, n° 08-10.692 ; RD bancaire et fin. nov.-déc. mars-avril, comm. 40, obs. Crédot F. et Samin T. ; Cass. com., 2 oct. 2007, n° 06-14343 : D. 2007, AJ. 2604, obs. Delpech X. ; RD bancaire et fin. nov.-déc. 2007, comm. 211, obs. Crédot F. et Samin T. ; RTD com. 2008, p. 161, note Legeais D.). Comme l’écrit le Professeur Thierry Bonneau, « le banquier réceptionnaire qui n’a reçu un paiement qu’au nom et pour le compte du cédant n’est tenu d’aucune restitution envers le banquier cessionnaire » (Bonneau Th., Droit bancaire, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 807). Cette situation correspond, selon cet éminent auteur, à un « faux conflit » de mobilisation de créances. Ainsi, il convient de vérifier au regard du contrat en quelle qualité le factor a reçu le paiement : nouveau titulaire de la créance (au titre de la subrogation) ou simple mandataire du recouvrement.

  1. Application
    • Si la cession Dailly est reconnue valable : l’action en restitution de l’indu du cessionnaire Dailly contre le factor

Dans le cas où la cession Dailly est reconnue valable, une action en restitution de l’indu exercée par Rhône finance contre Factoplus semble vouée à l’échec au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Rhône finance doit engager l’action en restitution de l’indu contre Gifa.

De surcroît, selon l’énoncé des faits, la demande de Rhône finance contre Factoplus porte sur la somme de 350 000, alors que ce dernier n’a reçu que 125 000 euros. Or, l’action en restitution de l’indu ne peut porter que sur la somme effectivement reçue par le défendeur (art. 1302-1 du Code civil). Toutefois, en cas de mauvaise foi du défendeur et si elle est prouvée, il doit restituer la somme avec les intérêts à compter du paiement (art. 1352-7 du Code civil).

    • Si la cession Dailly n’est pas reconnue valable

Si la cession Dailly n’est pas valable, peut-elle valoir comme cession de créances de droit commun ?

Dans la négative : le cessionnaire Dailly échouera dans l’action en restitution de l’indu contre le factor, faute d’être titulaire des créances.

Dans la positive : la cession a été notifiée, ce qui peut équivaloir à la formalité de l’article 1324, alinéa 1er, du Code civil sur la cession de créances de droit commun. Cependant, Factoplus n’agissant qu’en qualité de mandataire pour l’encaissement et non titulaire des créances, Rhône Finance risque fortement de voir son action rejetée si elle l’assigne.

En conclusion, il apparaît que la société Rhône finance ne devrait pas pouvoir diriger utilement son action en paiement contre Factoplus.

Précisons qu’elle doit le faire contre la société Gifa mais, étant en liquidation judiciaire, elle devra déclarer sa créance de restitution. En effet, si Gifa a reçu un financement de Rhône finance alors que le contrat n’était pas valable et qu’elle ne l’a pas remboursé, il y a un paiement indu et elle doit donc lui restituer cette somme d’argent. Le délai de déclaration est de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (C. com., art. R. 622-24). Le liquidateur judiciaire est le destinataire des déclarations de créances (C. com., art. L. 641-3, al. 4). La créance issue d’une action en restitution de l’indu est considérée comme ayant pour origine le fait juridique du paiement effectué par erreur (Cass. com., 1er févr. 2011, n° 10-12746). La créance en cause consistant en une créance d’indu du fait d’un paiement effectué par erreur, n’est pas née « pour les besoins du déroulement de la procédure », au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce, de sorte qu’elle ne peut bénéficier d’un paiement à échéance au vu de ce texte (CA Versailles, 7 janv. 2021, n° 19/05725). Étant créancier chirographaire, la société Rhône finance risque de ne pas pouvoir récupérer ses fonds car l’encaissement a été affecté par cette procédure de liquidation judiciaire. De même, pour terminer, on précisera que la créance de l’affactureur résultant du paiement entre les mains de l’adhérent de factures transmises avant le jugement d’ouverture ne bénéficie pas non plus du privilège de procédure car elle n’est, ni une opération engagée pour les besoins de la procédure, ni la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur au cours de la période d’observation (Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-14561 : BJE sept. 2013, p. 289, note Borga N., arrêt estimant que la créance de restitution est une créance inutile à la procédure collective).